La chèvre de Monsieur Seguin
Par Alphonse Daudet
Monsieur Seguin n’avait jamais de la chance avec ses chèvres.
Toutes ses chèvres voulaient partir.
Rien ne pouvait les retenir. Les caresses de Monsieur Seguin, la peur du loup.
C’étaient des chèvres indépendantes. Elles voulaient la liberté.
Elles cassaient leur corde et elles partaient dans la montagne.
Très haut, dans la montagne il y avait le loup qui les mangeait.
C’était toujours pareil.
Monsieur Seguin ne comprenait pas ses chèvres. Il était très triste.
Il disait : – C’est fini ; Les chèvres s’ennuient chez moi, elles ne veulent pas rester chez moi.
Il avait déjà perdu six chèvres, mais il a quand même acheté une nouvelle chèvre.
Mais cette fois, il a pris une très jeune chèvre. Il pensait qu’elle s’habituerait mieux à rester avec lui.
Ah, elle était vraiment jolie, la petite chèvre. Elle avait les yeux doux et une petite barbe comme un officier.
Elle avait des sabots noirs et brillants et elle avait de longs poils blancs comme un long manteau, alors Monsieur Seguin l’a appelée Blanquette.
Et elle était gentille aussi. Elle restait tranquille quand il voulait la traire. Elle ne mettait jamais son pied dans l’écuelle. Elle était vraiment adorable.
Derrière sa maison Mr. Seguin avait un petit jardin entouré d’aubépines. Il attachait la chèvre avec une longue corde et souvent il venait voir si elle était bien.
La chèvre était très heureuse et elle mangeait l’herbe du pré. Monsieur Seguin était très content.
Il pensait : Enfin, j’ai trouvé une chèvre qui ne s’ennuie pas chez moi !
Mais, il se trompait, sa chèvre s’ennuyait.
Elle regardait la montagne et elle disait : « ça doit être bien là-haut, sans une corde qui fait mal au cou. Je suis une chèvre. Les chèvres n’aiment pas rester dans un petit jardin. Les chèvres ont besoin d’espace ! »
Elle voulait partir. Alors, elle est devenue maigre. Elle ne donnait plus de lait. Elle tirait sur la corde. Elle regardait tout le temps la montagne et elle disait : « Mê », tristement.
Monsieur Seguin voyait que sa chèvre était triste, mais il ne savait pas pourquoi.
Un matin, la chèvre s’est tournée vers lui et lui a dit :
– Ecoutez, monsieur Seguin, je m’ennuie chez vous. Laissez-moi aller dans la montagne.
– Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! a crié Mr. Seguin surpris. Ah non Blanquette, tu veux me quitter ?
Blanquette a répondu : – Oui, monsieur Seguin.
– Tu n’as pas assez d’herbe ici ?
– Oh non ! Monsieur Seguin.
– Tu veux une corde plus longue ?
– Non, monsieur Seguin.
– Alors, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu veux ?
– Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
– Mais, non, tu sais qu’il y a le loup dans la montagne… Qu’est-ce que tu vas faire quand il voudra te manger ?
– Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.
– Le loup rit de tes cornes. Il a mangé toutes mes chèvres… Tu connais la vieille Renaude qui était ici l’an dernier ? Elle était forte et méchante et elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis le matin le loup l’a mangée.
– Mais je veux aller dans la montagne.
Eh bien, non… je ne veux pas te perdre. Alors, je vais t’enfermer dans l’étable.
Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et quand il est parti, la petite Blanquette s’est échappée…
Elle est montée dans la montagne. Quand elle était dans la montagne, elle était très heureuse. Elle aimait les sapins et les châtaigniers. Elle se sentait libre. Elle n’avait pas de corde, elle pouvait manger partout. L’herbe était délicieuse. Et il y avait des fleurs de toutes couleurs. C’était magnifique !
Elle roulait et elle courait dans l’herbe. Elle n’avait peur de rien la Blanquette ! Quand elle était fatiguée, elle regardait en bas et elle voyait très loin, la maison de Mr. Seguin avec son petit jardin.
– Que c’est petit ! disait-elle.
Tout à coup, la montagne est devenue violette et il a fait plus frais ; c’était le soir… “Déjà !” a dit la petite chèvre.
Il y avait du brouillard elle voyait seulement le toit de la maison de Mr. Seguin avec un peu de fumée. Elle était un peu triste. Puis elle a entendu un long hurlement dans la montagne : “Hou ! Hou !”
Blanquette a pensé au loup et au même moment, Mr. Seguin a sonné une trompe dans la vallée pour appeler la petite chèvre.
“Hou ! Hou”, faisait le loup.
“Reviens ! Reviens !…” criait la trompe.
Blanquette voulait rentrer ; mais, elle pensait à la corde, au petit jardin et elle ne voulait plus vivre comme ça.
La trompe n’a plus sonné…
La chèvre a entendu derrière elle un bruit de feuilles.
Elle s’est retournée et elle a vu deux oreilles courtes et des yeux brillants. C’était le loup.
Enorme, immobile, il était là, et il regardait la petite chèvre blanche. Il riait méchamment:
– Ha ! ha ! petite chèvre de Mr. Seguin !
Blanquette a pensé à l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin. Elle a baissé sa tête, et les cornes en avant, comme une brave chèvre de Mr. Seguin. Elle voulait tenir aussi longtemps que la Renaude…
Alors le loup s’est avancé.
Ah ! La petite chèvre ! Elle s’est battue toute la nuit.
Une lueur pâle a paru dans l’horizon… C’était le soleil qui se levait. “Enfin !” a dit la pauvre bête, et elle s’est couchée par terre.
Alors le loup s’est jeté sur la petite chèvre et l’a mangée.